L’ été.
Cette période dorée où nos corps se parent d’une robe halée, ce moment où campings, maisons secondaires et autres AirBnb se remplissent et voient leur quotidien bouleversé par des vacanciers pressés de se prélasser. Cette saison bénie qui marque chaque année les esprits de tant de femmes & d’hommes …
Ces quelques mois qui offrent à tout•e un•e chacun•e des heures de félicité. Que cela soit cette randonnée, débutée quelques heures avant l’aube et terminée au sommet d’un col avec pour seule vue, la beauté d’un soleil à peine levé; ce moment inoubliable où, à 13 ans, on a embrassé pour la première fois un garçon ou une fille au détour d’un feu de camp; ces délicieuses après-midis allongé•e, ventre pressé sur la serviette de plage et mains accrochées à la Gameboy qui fait tourner le chef d’œuvre Zelda :
Link To The Past.
J’aime l’été, mais cette année, je n’en ai pas profité…
En revanche, qui a pu le faire? Adèle Mesones & Ariane Hugues, les deux créatrices de Sprinkle qui ont pris le temps de répondre à nos questions par mail pendant leur vacances ( peut-être entre deux sauvegardes de Zelda, sait-on jamais ? C’est ce que j’aurais fait ).
Merci à elles!
Pour commencer,
pouvez-vous
vous présenter
ainsi que votre
structure ?
Et
Sprinkle
ça veut dire
quoi ?
Adèle a étudié au lycée Renoir à Paris et à l’EESI d’Angoulême. Elle vient de s’installer à Marseille et commence fraichement son activité d’illustratrice. Ariane a étudié à Estienne, à Renoir et à la HEAR Strasbourg. Elle vit et travaille à Nantes depuis un an et demi, où elle partage un atelier avec deux membres de son collectif l’Amour éditions. Elle fait de la BD, de l’illustration, des collages, du fusain, du modelage…
On s’est rencontrées au lycée Renoir à Paris pendant nos études ( Adèle en DMA illu & Ariane en FNCD BD ), puis on a participé ensemble à des salons de BD alternative en Europe, c’est à ce moment-là qu’est venue l’envie de travailler ensemble.
Sprinkle est le premier projet qu’on fait ensemble, le nom a été choisi spécialement pour ce fanzine. On a envie de continuer à explorer ces thématiques mais on ne sait pas encore si ce titre sera ré-utilisé pour désigner un collectif ou faire d’autres tomes par exemple. Dans les échanges de mail, le projet s’est juste appelé « fanzine sexy » pendant longtemps.
Ensuite, on a proposé plusieurs noms, et on a invité les participantes à voter car on voulait qu’elles se retrouvent dans l’image publique du fanzine. C’est une référence à Annie Sprinkle, qui après avoir été actrice pornographique, est devenue une des premières femmes à avoir produit des films. Depuis elle est aussi performeuse, écrivaine et doctorante en sexologie. « To sprinkle » signifie « arroser », on aimait bien l’ambiguïté du terme et que ça puisse se référer aux orgasmes de tous les sexes, en plus ça fait un peu « arroseur arrosé » ;•)
Quelles consignes
avez-vous donné
à vos artistes ?
Quand on a commencé à discuter du projet, on a rapidement eu envie d’inviter plein d’autres meufs. Comme on n’a pas fait les mêmes écoles, c’était en plus l’occasion de réunir dans un projet commun des personnes qui s’étaient peu croisées et qui ne se connaissaient pas forcément. Etant donné que c’était un travail non rémunéré, nous avons demandé uniquement à des artistes que nous connaissions personnellement. Certaines nous ont ensuite suggéré des noms de copines que le sujet intéressait.
Le revers de ce moyen de « sélection » c’est que les artistes présentes dans le fanzine sont représentatives de la population des écoles d’art, très majoritairement blanche, socialement assez uniforme, entre autres choses, et que ça se ressent dans ce qui a été dessiné.
On avait donc une liste de participantes potentielles et on leur a envoyé un mail en exposant les constats qu’on a posé dans l’intro du fanzine : les corps d’hommes sont moins sexualisés que les corps de femmes, et ce qui existe est plus largement produit par des hommes cisgenre. La seule consigne c’était d’ « érotiser des corps masculins» , et d’utiliser les contraintes formelles qu’on avait fixées ( double page cachée, impression riso, les couleurs… ). On a laissé chaque illustratrice faire absolument ce qu’elle voulait, puisqu’on les avait invitées et que c’était un travail gratuit, on leur faisait confiance et il n’y avait pas lieu de suggérer des modifications.
On n’en avait pas beaucoup, de références, pour être honnêtes. L’une des participantes, Lucile Ourvouai, était déjà familière avec cette thématique, c’était d’ailleurs le sujet de son mémoire de fin d’études à la HEAR. C’est aussi quelque chose qui apparaît souvent dans le travail de Maeva Szpirglas. Donc, notre inspiration venait surtout de notre entourage et d’une impression qu’il y avait un vide qu’on voulait contribuer à combler. Ensuite on a rencontré par ce projet Morgane Tocco, une étudiante en thèse à l’EHESS qui nous a contactées car elle travaille sur ce sujet. Elle a elle-même mené un projet d’entretiens et de photos où elle invitait des femmes à prendre des photos de corps d’hommes autour d’elles : Sujet(te) de désir . On a aussi découvert après avoir lancé le projet, le compte Instagram Lusted Men, qui collecte et diffuse des images érotiques d’hommes.
Après, on a aussi pensé à la collection BD Cul des Requins Marteaux, en particulier le premier volume d’Aude Picault, Comtesse.
En termes de fabrication,
Sprinkle a la particularité
d’avoir des « pages cachées ».
Quelle est
la raison
derrière
ce choix ?
Y a-t-il
un sens ?
Avez-vous
des références
d’ouvrages
avec ce même
type de pages
cachées ?
On s’est orientées vers un petit format d’abord pour des raisons financières : on avait beaucoup d’invitées, donc beaucoup de pages. Aussi on aimait bien que ça puisse faire penser à un roman de gare, un petit objet facile à transporter mais aussi à cacher.
Pour ce qui est des pages secrètes, notre amie Maeva avait utilisé un principe un peu semblable pour son diplôme de DMA illustration, le contenu érotique était caché dans les pages. On lui a demandé la permission de reprendre son idée et elle a dit oui, youpi !
Le principe de reliure en lui-même a beaucoup été utilisé par Benoît Jacques, dont on aime beaucoup les livres pour leurs qualités tactiles.
Alexia Rossi a aussi créé des petits livres où ce système permet un jeu de double récit qui se révèle par transparence. C’est très amusant !
Vous avez
décidé
d’imprimer
aux Ateliers
du Toner.
Il me semble que
leur démarche
est intéressante,
notamment en termes
de participation
financière.
Pouvez-vous
nous présenter
rapidement
ces ateliers
et ce qui vous
a poussé vers eux ?
Les Ateliers du Toner sont un atelier coopératif d’autoédition à Bruxelles, qui a été monté par un regroupement de plusieurs collectifs d’éditions. Il y a tout un panel de machines ( riso, comcolor, laser, presse taille douce, colleuse, massicot, etc. ) auxquelles tout•e un•e chacun•e peut accéder après une formation. Ensuite on peut venir imprimer ses projets en autonomie. C’est à prix coûtant, c’est à dire qu’on paye juste ses consommables et un pourcentage pour l’usure des machines et les frais de fonctionnement de l’atelier. L’ambiance nous a rappelé les ateliers des écoles, avec plein de personnes différentes qui travaillent côte à côte, filent des astuces et se montrent leurs boulots, c’est chouette !
On a découvert l’endroit par le biais des copains du collectif Jean Guichon, qui en sont cofondateurs. Ils nous en ont parlé et on avait envie de découvrir le lieu. Ils ont aussi une machine qui s’appelle la Comcolor ( par l’entreprise Riso ) et qui imprime en CMJN mat pour très peu cher et permet des mélanges intéressants avec la riso. C’est comme ça qu’on a imprimé notre magenta.
Dans les dernières
pages du fanzine,
vous évoquez
d’éventuels
nouveaux projets.
Quelles
sont
vos
envies
à ce
niveau ?
Sprinkle est parti d’un constat qui reflète la binarité de genre de notre société. Faire ce projet nous a posé plein de questions, et nous a parfois fait douter car la thématique renvoie à plein d’autres qui sont complexes et peuvent être explorées dans pleins de directions possibles : la représentation des « minorités » , l’inclusivité de la démarche et du projet, la cis-hétéro normativité, le male gaze vs le female gaze, le féminisme …
On n’a pas pu tout résoudre dans un seul projet, et quatre petites pages par personne, ça reste limité comme support d’expression et de réflexion.
Ca nous donne envie de continuer, d’inviter encore des artistes qui ont plutôt été éduqué•e•s à penser le désir des autres sur leur corps, à s’approprier leurs regards et leurs désirs sur les autres corps.
On a des idées de nouveaux objets, des personnes en tête avec qui on aimerait bien travailler, on se dit aussi que ce serait chouette de faire tourner une petite expo ou d’organiser des discussions autour de tout ça. Donc to be continued …
bonne lecture &
au mois prochain! ;•)