Savoir faire des livres ne signifie pas savoir en parler et je me demande toujours si les auteurs & autrices que nous distribuons auront envie de répondre à nos questions. Le plaisir du fanzine, c’est aussi de n’avoir rien à expliquer, de faire pour faire et puis comprendra qui voudra. Nous, on oblige à l’ajout d’une narration de soi. Je ne sais pas si Pierre voulait être interviewé, mais je trouve que ses réponses apportent une profondeur certaine à ses fanzines. On vous laisse en profiter.
Pour commencer,
peux-tu te présenter ?
Ton parcours ?
Ta bibliographie ?
Je m’appelle Pierre Ferrero, j’ai grandi dans les Hautes-Alpes à Briançon, j’ai étudié le dessin de manière assez classique à Lyon et moins classique avec la petite troupe du collectif Arbitraire rencontrée/créée durant ces mêmes études. On a créé ce collectif en 2005, une poignée de jeunes amateurs de punk ( mais pas que) et de BD ( dites) alternatives.
On se rassemblait le soir pour décompresser de notre école autoritaire & bornée, on écoutait de la musique, on buvait des bières et surtout, on tombait les pages de bande dessinée. De cela est né le fanzine Arbitraire, devenu plus tard revue Arbitraire et enfin maison d’édition. Au sortir des études en 2008, le collectif s’est installé dans un local à Lyon. Parallèlement, je faisais de la musique avec un groupe, ce qui m’a amené à bouger un peu partout en Europe. Je me suis installé à Londres en 2011, j’ai mis la musique de côté pour me plonger à fond dans la BD. J’ai sorti mon premier bouquin chez les Requins Marteaux, Marlisou, en 2013. Cette même année j’entamais l’écriture de mon second livre chez le même éditeur: La Danse des morts, qui est sorti en 2015.
En 2013 j’ai publié London Fashion, les aventures de Isaac Neutron chez Arbitraire, suivi de Isaac Neutron vers de nouveaux paradigmes galactiques en 2015 toujours chez Arbitraire. Puis, suite à deux années de résidence à la médiathèque de Montreuil entre 2017 & 2019, j’ai autoédité deux tomes des aventures d’Isaac Neutron.
Peux-tu nous parler de ton implication au sein de la maison de microédition Arbitraire ?
Est-ce que Harraga et Pétain reviens ! T’as oublié tes chiens !
ont un lien avec le collectif ?
Alors, comme dit précédemment, j’ai participé à la création du collectif Arbitraire, du fanzine du même nom puis de la maison d’édition. Actuellement C’est Renaud Thomas et Juliette Salique qui gèrent la maison. Je suis encore présent lors des salons & festivals pour filer un modeste coup de main mais on ne peut pas dire que je sois encore très impliqué. Pétain reviens ! et Harraga, sont les deux premiers chapitres d’un récit long qui sera sûrement édité chez Arbitraire. Pour le moment je les prépublie en fanzines mais l’idée est de faire un livre en couleurs.
Peux-tu nous parler
de la naissance
de ces deux projets ?
Quelles réflexions ont
alimenté leurs créations ?
Bon, la dimension politique de ces deux fanzines est assez évidente. Ça part à la base d’une idée un peu stupide: comme si le slogan antifasciste devenait une sorte de mantra qui allait réveiller le maréchal Pétain. Il revient à l’époque actuelle sous la forme d’un zombie. Il va se rendre compte que finalement pas mal des idées qui lui tenaient à cœur lors du régime de Vichy, sont encore appliquées et surtout, qu’elles ont un regain d’intérêt pour certaines personnes.
La période actuelle ne sent pas très bon: on assiste à un retour flagrant des idées nationalistes, des frontières, des murs et des barbelés, la police, partout sur la planète, a monté de plusieurs crans son niveau de violence et de répression.
La violence de l’Etat s’exerçant au travers de son bras armé: la police, les frontières partout dans le monde, ce sont des thèmes que je voulais traiter mais pas d’une manière didactique ou plombante.
J’ai habité à Paris pendant 3 ans, et en arrivant en 2014 ce qui m’a sauté aux yeux c’est la misère partout. Les camps de réfugiés-migrants-êtres-humains et tous les gens qui marchent et passent devant cette misère tous les jours en allant et venant au travail, en allant et venant en soirée, et qui ne s’arrêtent pas, qui ne font rien. J’ai donc commencé à aider comme je pouvais ces gens venant du monde entier, échoués sur les trottoirs de Paris, une des villes les plus riches du monde, et j’ai rencontré des gens qui pour certains sont devenus des amis. Et même si les parcours et les raisons qui les ont poussés à faire des milliers de kilomètres loin de chez eux et de leurs proches sont différents, l’horreur des récits de leurs voyages est souvent la même.
J’ai grandi à Briançon, nous allions souvent en Italie et la cahute de douane a toujours été vide, limite vitre poussiéreuse, cracra. J’y retourne tous les ans et ces dernières années, parallèlement à la misère des trottoirs de Paris, j’ai vu la douane faire peau neuve, j’ai vu la militarisation de la frontière, la réouverture des forts d’altitude où les militaires s’entrainent, et la nuit traquent des hommes, des femmes et des enfants avec du matériel de haute précision, tout ça pour les renvoyer de l’autre côté de la frontière. J’ai vu les fascistes de génération identitaire monter dans les montagnes pour leur opération de com’ nauséabonde à grand renfort d’hélicoptères et de mise en scène, sans être inquiété d’une quelconque répression ( contrairement à tous les gens qui aident et accueillent les migrants).
Un fanzine n’a pas de poids face à cela,
je suis bien conscient que la résistance à la fermeture des frontières, la lutte contre l’État, la police ou le fascisme se fait d’abord sur
le terrain mais j’avais envie de parler de tout
ce qui me taraude depuis des années et comme la bande dessinée et les fanzines c’est ce que je sais ( à peu près) faire de mieux dans ma vie, ça a pris cette forme.
Considères-tu que ces
deux fanzines soient liés ?
Les deux fanzines sont liés, ce sont les 2 premiers chapitres d’un récit long que je dessine en ce moment. Je suis en train de terminer le troisième opus qui sort d’ailleurs à la rentrée. L’idée était qu’on puisse les lire séparément même si rapidement ils vont se rejoindre pour former un seul et même récit.
Tu édites dans le circuit « normal» de l’édition mais t’investis également dans la microédition.
Qu’est-ce qui te pousse
à continuer à œuvrer pour
ces deux milieux parallèles ?
Je considère que ce sont deux médiums différents. Il n’y en a pas un au-dessus de l’autre à mon sens. Je précise car je pense que parfois, et certaines écoles le présentent comme tel, le fanzine est considéré comme une expérience formatrice, un barreau de l’échelle de l’édition et de la carrière. Pour certains il est utilisé comme un book ou un portfolio. Ce n’est pas ma vision des choses. Le livre édité chez un éditeur permet certaines choses que le fanzine ne peut pas et inversement.
J’ai remis les doigts dans le fanzine lors d’ateliers en collèges-lycées que je donne avec l’association Chifoumi. Ça fait 7 ans que June – de l’association Chifoumi – m’invite chaque année et nous parcourons les collèges & lycées de France pour proposer des ateliers BD et fanzine. On fait bosser les jeunes sur de la bande dessinée et on imprime et monte le fanzine avec eux en fin de session. J’ai toujours trouvé ça magique, le coté instantané, à portée de main avec peu de moyens.
Bien sûr je suis content lorsque mon travail est édité par un éditeur, que la fabrication du livre est pensée, le livre aura surement un écho plus large que mes fanzines, mais je reste hyper attaché à cette manière de publier, que ce soit de la BD, du texte ou autre.