Je ne me souviens plus exactement comment nous avons découvert le travail d’Aniss El Hamouri mais il y a un chemin qui, me paraissant probable, me traverse l’esprit.
Il y a plus de deux ans, j’avais entre autres pour tâche de répondre aux dossiers éditoriaux envoyés à une grande maison d’édition de bande dessinée. Peut-être penserez-vous qu’il s’agissait-là d’une haute responsabilité ( c’est personnellement ce que j’ai cru au départ ), mais en réalité, il était très simple de séparer le grain de l’ivraie. Pour tout vous dire, la majorité des dossiers que je lisais n’étaient pas réellement au niveau… À un point tel qu’en six mois, je n’ai retenu que deux dossiers. Le premier avait déjà trouvé éditeur et le second appartenait à un garçon nommé Thibault le Gallet. En me renseignant plus longuement sur cet auteur, j’appris qu’il était jeune diplômé de Saint-Luc et également membre du collectif Brumeville , basé à Bruxelles. On espère pouvoir un jour distribuer leurs travaux, mais je ne veux pas trop m’écarter du sujet premier… Car arrive aussi le moment où ma mémoire se trouble.
Aniss fait aussi partie de Brumeville, mais je n’arrive pas à être certain que ce fut-là ma première rencontre avec son travail… Peut-être avais-je déjà vu passer Comme un frisson, sa BD éditée chez Vide Cocagne ? Peut-être avais-je pu voir son travail sur Grandpapier.fr ? Peut-être avais-je vu par hasard passer sur l’Internet des planches d’Ils Brûlent ( son futur roman graphique d’heroic-fantasy-qui-va-déboiter, à paraître chez 6 Pieds sous Terre ) ? Je ne sais plus… Mais je me souviens au moins d’une chose : c’est The Thing que nous avons découvert en dernier. En rencontrant ce nouvel ouvrage, nous faisions également la connaissance d’une structure microéditoriale : L’Appât. Ce monde réunit avait créé un si bel objet qu’il nous parut être le prétexte idéal pour vous les faire tous rencontrer.
— Deux questions pour Aniss El Hamouri —
Il représente quoi
pour toi ce livre ?
Plusieurs choses. Je pense que, surtout, pour moi, c’était un gros challenge et, d’une certaine façon, une prise de risque. C’est un livre où je suis fort allé hors de ma zone de confort. Déjà techniquement, car il s’agissait de mon premier boulot en sérigraphie. Et puis, c’est très différent de mes boulots habituels. J’ai choisi cette contrainte particulière de ne dessiner qu’à partir du film The Thing de Carpenter et d’écrire sur un sujet délicat et très personnel. Honnêtement c’était casse-gueule. Je me suis dit plusieurs fois que j’avais fait une erreur. Que ça n’intéresserait personne. Le texte en particulier a été super dur à écrire.
Ça représente aussi ma collaboration avec L’Appât qui ont été incroyables. C’était un projet auquel je fantasmais un peu mais, je ne voyais pas trop dans quel contexte j’arriverais à le réaliser. Quand L’Appât m’a proposé de faire une bd avec elleux, c’était l’occasion de m’obliger à le faire.
Je suis allé en résidence dans leur atelier imprimer ce livre. Ça a vraiment été un moment super. Iels m’ont accompagné, appris plein de choses, on a bien ri, bien travaillé…. Top quoi. Je m’estime extrêmement privilégié d’avoir découvert cette technique chapeauté par leur professionnalisme et leur bienveillance.
Aujourd’hui, je pense que c’est l’un des plus beaux objets d’édition consacré à une de mes bd. Pour un projet que je voyais comme un OVNI implaçable éditorialement, c’est plutôt dingue.
C’est un livre dont je suis très fier. Je pense que, par sa forme et son contenu, il a réussi à cristalliser le paradoxe par rapport à tout ce sujet de ma (non)identité. Il explique bien mieux ce que je ressens que mes discours maladroits sur le sujet.
Qu’est-ce que tu dirais à quelqu’un qui s’apprête
à le lire ?
D’abord qu’il s’agit d’autofiction. Dans le sens où, bien que ce que j’y décris est réel et autobiographique, je me suis aussi détaché de l’idée de transmettre la vérité des choses. C’est-à-dire ne pas me placer dans une approche documentaire ou didactique. Plutôt que d’expliquer, je voulais confronter mon alter ego narrateur à son incapacité à expliquer. Piéger en somme un personnage fictif dans les boucles de pensées irrationnelles qui peuvent m’emprisonner moi-même.
The Thing est un chef-d’œuvre incroyable, regardez-le si vous en avez l’occasion et/ou l’envie ( version 1982 ). Si vous ne l’avez pas vu je serais curieux de savoir l’effet que ça vous a fait à la lecture. Pour finir, bonne lecture. J’espère que ça vous plaira.
— ITV L’Appât —
Pouvez-vous nous raconter l’histoire de L’Appât ?
L’Appât est fondé en 2011 à Montréal par Rebecca Rosen & Quentin Pillot. Nous nous sommes rencontrés dans l’atelier de Le Dernier Cri à Marseille lors d’un stage de sérigraphie/édition qui nous a infusé la furieuse envie de créer aussi notre atelier d’impression et d’y inviter des illustrateurs. Après 2 ans à Montréal, nous sommes venus à Bruxelles où nous avons redémarré l’imprimerie/maison d’édition.
Comment présenteriez-vous votre atelier ?
L’Appât reflète ce qui nous passionne le plus : l’image imprimée et le récit visuel. Ainsi, nous éditons des livres et des affiches d’illustrateurs indépendants aussi bien que nos propres images. Nous allions deux types d’impressions ( sérigraphie & typographie ). Nous sommes autonomes pour la fabrication de livres de tous formats mais les tirages restent limités par soucis de temps et de vision, car nous souhaitons rester dans le monde merveilleux de la microédition.
Notre activité se divise ensuite en plusieurs catégories :
• Les commandes : l’impression pour clients / illustrateurs sur devis.
• La programmation de résidences : l’édition d’objets imprimés, et la distribution de ces objets.
• L’animation d’ateliers.
Avez-vous tous les deux des projets en dehors de L’Appât ?
Nous sommes tous les deux des graphistes, illustrateurs, et auteurs de bandes dessinées autant que des imprimeurs/éditeurs.
Pourquoi s’être aussi lancé dans l’édition ?
Pour pouvoir proposer à des artistes dont le travail nous touche de venir faire leur propre ouvrage de A à Z à L’Appât. Contrairement aux grandes maisons d’édition, nous imposons peu de contraintes et offrons beaucoup de liberté à l’artiste afin qu’il ou elle expérimente et s’exprime à travers nos techniques d’impression.
Comment s’est fait la rencontre avec Aniss ?
Nous avons rencontré Aniss sur des foires de microédition, puis nous trainions dans le même réseau d’auteurs belges.
Avez-vous quelques récents ouvrages à conseiller ?
• Narok ( Le Dernier Cri )
• Bleu Abus ( Epox et Botox )
• Turbulatome ( coédition de 8 ateliers de sérigraphie dont L’Appât )
Quels sont vos projets actuels ? Et pour l’avenir ?
En juin, nous participerons à une expo collective réunissant sept ateliers de sérigraphies européens qui aura lieu au Sterput ( galerie associative bruxelloise avec qui nous partageons notre lieu de travail ). Le titre de l’expo est « Turbulator » et le livre Turbulatome, mentionnée ci-dessus, réunira des dessins produits par les ateliers participants. Et nous sommes en train de programmer les futures résidences à l’atelier pour 2021/2022.